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Le blog des Amoureux de Banyuls
27 janvier 2015

Les camps de la mort. Un témoignage.

Jean G. était mon ami. J’avais fait sa connaissance à l’occasion d’une de ses hospitalisations et je connaissais bien sa fille. Il avait « fait » les camps comme on disait alors. Il n’en parlait jamais mais parfois quelques circonstances l’amenaient à évoquer brièvement des terribles souvenirs.

Je connaissais son histoire. Chef d’un réseau de résistants à Montpellier il avait été bêtement arrêté car sa copine avait dit à une amie que son copain avait un révolver caché à la maison. Elle avait tenu ces propos dans un bar. Un voisin de leur table avait entendu…La suite avait été classique. Tous arrêtés, torturés, personne n’avait parlé. Ses trois camarades avaient été fusillés. Lui non. Tout simplement parce que les tortionnaires pensaient qu’il était le chef du réseau et qu’ils voulaient le faire parler. Il devait avoir des chefs, connaître des noms…

Après la torture on le mit dans le train vers l’Allemagne avec un autre malheureux compagnon. Mais il comprit très vite que ce compagnon n’était qu’un agent qui cherchait à le faire parler pendant le voyage. Il n’a jamais rien dit ou alors de fausses pistes pour égarer l’ennemi.

Puis Jean intégra un camp. Je ne me souviens plus lequel. Il en sortit par miracle à la libération. 1,90 m et 42 kg. Son épouse le tira de là en le nourrissant à la petite cuillère pendant des mois. Son estomac avait oublié ce qu’était la nourriture et il vomissait tout.

La seule anecdote qu’il me confia fut celle du jour où il passa très près de la mort. La voilà, il me semble encore entendre sa voix :

« De temps en temps, je ne sais pas pourquoi, les gardiens du camp prenaient des hommes dans un camion avec des soldats armés et les amenaient dans une forêt voisine. Ce jour-là je fis partie du voyage. Quand nous arrivâmes dans la forêt on nous donna des pelles et des pioches et on nous donna l’ordre de creuser une tranchée. Je compris, et mes camarades aussi, que ce serait notre tombe. Nous creusions notre tombe !

Les soldats nous firent aligner face au trou et se placèrent derrière nous de telle sorte que nous ne puissions pas les voir. Ils allaient tirer dans notre dos et nos corps allaient tomber dans la tranchée.

Le chef de ces soldats prit alors la parole et nous dit qu’il allait extraire quelques uns du groupe pour recouvrir les corps avec la terre que nous avions laissée au bord de la tranchée. Il allait désigner par conséquent ceux qui ne seraient pas fusillés. Il s’approcha de nous par l’arrière. Il passa lentement dans mon dos et mit sa main sur mon épaule. Je sens encore cette main ! Je quittai le groupe avec deux ou trois autres désignés comme moi. Mon cœur battait tellement fort dans ma poitrine que je pensais m’effondrer. Je voyais maintenant de dos mes camarades qui allaient mourir. Les soldats firent feu au commandement, les corps tombèrent. Il fallut pousser ceux qui n’étaient pas tombés entièrement dans leur tombe. Prendre la pelle et recouvrir leur corps et remonter dans le camion. Je n’ai jamais de ma vie eu plus peur que là, dans cette forêt ! »

Il n’a jamais raconté ça à personne d’autre. En ce jour, sans vous dévoiler son nom, je dois libérer ma mémoire. Jean est mort il y a de nombreuses années. Son corps repose à Perpignan. Celui qui a mis la main sur son épaule est probablement mort avant lui.

Commentaires
C
Merci.<br /> <br /> J'ai la trouille pour vos abricots, l'orage revient. Je ferme l'ordi !<br /> <br /> Bises à Paris
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M
Je connais bien la fiat 500, j'ai même fait Paris Banyuls et je vous assure que la route entre Cahors et Montauban n'était pas une mince affaire, quant à la montée à Cap Doune je vous laisse imaginer, tout comme je vous imagine replié dans cette boite à sardines.<br /> <br /> Quant à votre texte, je l'ai retrouvé avec émotion.
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C
Chère Martine, j'avais oublié ce texte ! Comment avez-vous fait pour le retrouver ?<br /> <br /> Si vous avez lu une de mes réponses concernant une Fiat 500 découverte sur un calendrier représentant la "Grand Place" d'Arras, la jeune étudiante qui avait réussi à m'y faire entrer était sa fille Michèle. (article d'André) Pour en sortir devant la Fac de Médecine de Montpellier ce fut une tout autre affaire ! A l'intérieur de ces voitures on se trouvait plié comme une sauterelle !
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M
Et il est revenu !<br /> <br /> Et il a pu vous parler !<br /> <br /> Et sans lui nous n'aurions pas su !<br /> <br /> Alors 70 ans après n'oublions<br /> <br /> pas !<br /> <br /> Vous avez raison, c'est bien là notre devoir.
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D
Peut-on imaginer pire déchéance ? L'horreur est humaine.<br /> <br /> Un bel hommage à Jean, Françoise a raison, et qui me bouleverse.
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F
Quelle émotion se dégage de ce texte ! Vous avez su évoquer le sort de votre ami en lui donnant la parole. C'est un bel hommage à sa mémoire. Merci.
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