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Le blog des Amoureux de Banyuls
18 août 2016

A la mémoire du Père Roger Vergé, ce texte qu'il nous avait confié dans l'ancien blog.


Monseigneur Jean-Marc EYCHENNE, Évêque de Pamiers, Couserans et Mirepoix,
les prêtres, les diacres et les religieuses du diocèse,
tous ceux qui l'ont connu
vous font part du décès de


Monsieur l'Abbé
Roger VERGÉ
à l'âge de 90 ans, le dimanche 19 juin 2016,

au centre hospitalier du
Val d'Ariège.


La messe de funérailles sera célébrée le mercredi 22 juin 2016, à 14 h 30, en l'abbatiale Saint-Volusien de Foix,

suivie de l'inhumation au cimetière de Foix (route de l'Herm).


« J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie,
ni les Principautés célestes, ni le présent ni l'avenir,
ni les puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes,
ni aucune autre créature,
rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu
qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur". Rm, 8

 

L’AUBE

L’Onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours...Ma commère la carpe y faisait milles tours avec le brochet son compère...

Aujourd’hui encore je les entends ces vers que je récitais à mon instituteur quand j’avais onze ans. Alors, il faisait beau, partout, autour de moi, et le ciel était bleu et les genêts tout jaunes, et les rues de Banyuls embaumaient du parfum de la grappe écrasée dans les caves. L’angle de la rue de l’église me comblait, chaque fois que j’y passais, le soir, après l’école, quand l’horloge de la mairie avait fini de sonner cinq heures, de cette autre odeur nourrie, dense et épaisse que j’aimais oublier un instant pour la perdre un moment... en m’éloignant à toutes jambes vers le presbytère. Je revenais ensuite à l’angle de ma rue afin de la retrouver, en souriant, cette odeur que j’étais seul à connaître, à savourer, à tripoter, à manger et qui me faisait vivre : celle du pain frais qui ne cuisait plus dans le four du boulanger « Chez Ferrer ». Son rôle de cuire, le four l’avait rempli... mais un nouveau rôle était né : répandre pour moi son odeur. Je riais d’être le seul peut-être à connaître cette joie, à la chanter en respirant doucement, dou...ce...ment, et puis profondément jusqu’au fond de mon ventre avant de m’y habituer, avant de ne plus pouvoir en jouir pleinement comme à l’orée de cette découverte que je venais de faire. Je repartais vite...vite ...et puis je m’arrêtais net, quelques mètres plus loin. Je me taisais tout entier...je respirais encore un peu...là ...je ne sentais plus rien. J’allais pouvoir recommencer, mais cette fois je partais len-te-ment, dignement, conscient de cette nouvelle rencontre que j’allais faire ; les premières effluves se situaient au niveau de la petite porte de la sacristie qui donnait sur la rue Saint Jean Baptiste. J’inventais un air soucieux, j’avançais sans faire de bruit pour écouter l’odeur de ceux qui me croisaient, de ceux qui me doublaient, connaître cette traînée qu’ils laissaient derrière eux qui les personnalisait à mes yeux. Ma joie était grande à la pensée qu’ils ne savaient pas, ne se doutaient pas de mon jeu. Aimaient-ils d’ailleurs l’odeur du pain frais qui a fini de cuire dans le four du boulanger et qui me remplissait de joie, qui me nourrissait  et me faisait jouir une dernière fois avant de revenir, demain matin à l’heure du catéchisme, avant la classe de huit heures ?  Personne n’a su l’importance qu’elle a eu pour moi l’odeur du pain qui a fini de cuire et que j’associais à la boulangère, toujours habillée pareil, toujours le même âge, le même tablier et qui ne devait jamais se déshabiller...jamais, parce que tous ces gens que j’aimais qui étaient des jalons dans ma vie, tous ces gens qui m’ont marqué sans le savoir, il m’a toujours semblé qu’ils ne se déshabillaient jamais. Tous ceux que je voyais autour de moi qui étayaient ma vie d’adolescent en herbe et qui me façonnaient : mon instituteur, ma boulangère, ma tante, je les retrouvais tous les jours au même endroit. Je les revois encore aujourd’hui, figés dans leur fonction avec leurs mêmes habits. Ils marchaient, ils allaient, ils bougeaient. Ma boulangère, elle, attendait comme une statue derrière son comptoir avec du pain partout. Ma tante, dans sa petite maison ou bien sur la route quand elle m’accompagnait aux vêpres et au cimetière. Mon instituteur, assis à son bureau ou marchant entre les rangées de bancs dans la classe, lançant sans arrêt, jusqu’à la hauteur de ses yeux, une grosse règle qui faisait un tour sur elle-même et qu’il rattrapait... juste à ce même niveau   d’où il la relançait pour la reprendre encore et ainsi de suite. La rapidité du geste était fonction de l’allure adoptée. De toute façon la règle ne tombait jamais mais, si par hasard elle lui échappait des mains, aussitôt l’élève le plus proche se sentait honoré de la ramasser, et Monsieur Mary souriait à l’élève. Le sourire du maître d’école, surtout celui de Monsieur Mary, Directeur de l’Ecole de Banyuls, vous réchauffait le cœur... Le soir, je m’endormais avec ce sourire et je continuais de le voir en train de se promener, aller et venir dans la cour de récréation avec ses collègues, toujours à la même place. Ils étaient quatre instituteurs autour de lui, deux à sa droite et deux à sa gauche. Tous se retournaient exactement au même endroit, près d’un platane, toujours le même, après avoir effectué l’aller et avant d’amorcer le retour et cela pendant tout le temps de la récréation. Il n’était pas pensable qu’un jour ou l’autre ils eussent changé de place, de costume, de forme ou de couleur. Chacun dans mon esprit, était lié à son costume comme leur costume était lié à eux, faisait corps avec eux. Personne ne devait avoir le droit de posséder le même costume que celui de Monsieur Gineste  ou de Monsieur Rocaries ou de Monsieur Bouzigues ou de Monsieur Obrer. Celui de Monsieur Mary était d’un tissu plus fin, plus riche, plus seyant...il sentait un peu le poivre.

Tels étaient mes souvenirs de récréation, (tels sont-ils encore...) quand je m’endormais et que j’avais onze ans.   

L’école finissait à 5 heures. Je me revois encore rangeant dans mon cartable mes cahiers et mes livres. Monsieur Mary ouvrait la porte et un par un, nous quittions la salle de classe... « Au revoir, Monsieur ». Dehors le vent froid de novembre faisait des plis sur la mer emmenant avec lui l’odeur salée de marinade. La R.N. passait devant le Groupe scolaire et gravissait un moment la montée du village. Au « Coll. d’en Quirq » le vent redoublait de force comme pour profiter de la ligne du chemin de fer. En passant devant « Gratacos » » je jetais un coup d’œil vers le dépôt d’ordures, tout près du « Mur rouge » Ce dépôt regroupait les nombreux détritus des maisons d’alentours. Je m’y arrêtais souvent et ramassais des ressorts, des tasses, cassées et dépareillées, des baleines de corsets...Longtemps j’ai gardé un gros couteau de cuisine où l’on pouvait lire sur la lame : « Vauzy les meilleurs ». J’étais heureux de cacher ces butins sous ma cape d’automne et fier de les montrer à ma mère au seuil de la maison comme si c’eût été un vrai trésor de guerre. J’étais déçu quand elle n’en faisait aucun cas. Souvent elle me grondait...grondait n’est pas le mot...elle me reprenait, ne me laissait pas mener ma vie, elle endiguait ma propre vie avant même qu’elle ne s’exerçât de sorte que tout, dans mon comportement, était artificiel. Tout ce que je faisais devait être parfait... : Ne pas claquer la porte en la fermant, bien ranger ses jouets dans leur boîte, ne pas mettre les coudes sur la table, manger de tout même de ce qu’on n’aime pas, reprendre de la soupe parce que ça fait grandir mais ne pas reprendre de bonbon au chocolat parce que ça fait tomber les dents. Et surtout, et qui revenait souvent « N’oublie pas de dire merci quand on te donne quelque chose et fais bien ta prière avant d’aller au lit. » Certes, ma mère m’aimait beaucoup, je dois dire : nous aimait beaucoup moi et mes deux frères ; elle eut voulu que nous fussions des modèles de sagesse et pour cela pas question d’avoir sa vie d’enfant ou de jeune adolescent mais vivre parallèlement aux adultes en écoutant les conseils et en ne se faisant pas punir en classe. 

                

               Ainsi donc chaque soir vers les 6 heures j’arrivais à la maison et le pli était bien pris. Ma mère n’avait pas besoin de me dire « Fais tes devoirs et apprends tes leçons... » J’aimais faire mon cahier du soir dans notre petite cuisine bien chauffée. Ma mère descendait alors doucement la flamme de la lampe à pétrole ; je défaisais mon cartable qui sentait bon le cuir, ensuite j’étalais devant moi mon cahier et mes livres.

Avant de commencer mon travail je respirais l’odeur des livres. Chacun avait la sienne... et je les connaissais toutes. Parfois je m’amusais à ouvrir mon cartable les yeux fermés. Je prenais au hasard le premier livre qui tombait sous ma main, l’ouvrais en son milieu et plongeais mon nez dans le sillon qui reliait les feuilles. Longuement je sentais... je respirais, puis je tournais ma tête vers l’extérieur pour expirer, afin que mon haleine ne vienne pas en modifier l’odeur...et je disais « ça c’est le livre d’arithmétique...ça c’est le livre de lecture » (Ce dernier s’appelait « Jeannot et Jeannette »). Ca, c’est le livre de « Vocabulaire » aux belles images en couleur. Le livre de lecture avait une odeur de vieux qui s’étalait sur plusieurs nuances comme le cognac sur la main. Le livre d’ « Exercices » était plus riche : ses notes s’irisaient en arc-en-ciel plus étale et fané. Quant au livre de catéchisme il avait un parfum particulier, plus neutre, et plus subtil, peut-être parce que mes livres de classe et mes cahiers passaient la moitié de leur vie dans mon cartable et, à l’école se mêlaient à l’odeur de la craie et de l’encre que l’on versait tous les matins dans des encriers de porcelaine blanche. J’aimais entrer dans ma classe qui exhalait alors l’accumulation de tous les cartables et de tous les livres, sans compter ceux de la bibliothèque. Elle était encore plus confinée le matin, par la respiration des 25 garçons que nous étions et qui grattions ensemble les cahiers avec une plume gauloise trempée dans l’encre noire. A la maison, ma mère écrivait avec une plume sergent-major trempée dans de l’encre violette. Un jour moi aussi, pensais-je, j’atteindrai ce summum, cette perfection ! Je serai grand alors quand je pourrai écrire comme ma mère avec une plume sergent-major trempée dans de l’encre violette.   

 

             Mes devoirs terminés je commençais par apprendre mes leçons : une table de multiplication et une fable de La Fontaine. Après le repas mes yeux se faisaient plus petits, mais je ne me suis jamais endormi sans avoir récité les leçons à ma mère.                     

 

            Enfin, après avoir rangé mes livres et mes cahiers, je me mettais à genoux pour la prière du soir. Cette prière après le repas me permettait de rêver. Chacune des prières que je récitais, les yeux fermés, j’en lisais mentalement le texte qui dans mon esprit représentait une sorte de mosaïque dont un premier carreau était formé par le « Notre Père »et le « Je vous salue Marie » lesquels se plaçaient sur la gauche de mon écran à la perpendiculaire, doublés par le « Je crois en Dieu » à droite. Le « Je confesse » arrivait ensuite horizontalement. Parallèlement à lui venaient se blottir les « Actes de foi, d’espérance, de charité et de contrition » ; et tout à fait au fond, à droite, le « Souvenez-vous ». Le dernier signe de Croix se perdait dans la brume épaisse et noire d’une nuit amorcée. Je m’endormais avec une fable ou, repensais aux illustrations de la lecture faite en classe.

                                                                                           

 

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